Éditeur VF : Le Livre de Poche
Synopsis : Les différents royaumes qui gouvernent le monde sont entrés en guerre. Aekir, la grande cité ramusienne, vient de tomber sous le joug du sultan Aurungzeb. À Hebrion, le roi Abeleyn IV s’inquiète de la montée des Inceptines, cet ordre religieux fanatique qui veut faire disparaître toute trace de magie sur terre. Alors que le noble Hawkwood revient à Abrusio à bord de sa caravelle, une partie de son équipage se fait arrêter. Pour survivre, il doit accepter un marché : aller à la recherche d’un continent légendaire. Il a pour équipage les magiciens et les sorciers devenus indésirables dans la cité. Malheureusement, personne n’est jamais revenu vivant de ce périple impossible… Série devenue culte, la fresque épique en cinq volumes des Monarchies divines ravira les amateurs d’une fantasy mature et sombre.
Avis : c’est avec un petit pincement au cœur que j’évoque aujourd’hui la superbe saga en 5 tomes des monarchies divines. Oui, un petit pincement, car cette série sombre et torturée aura fait bien du mal à mon petit cœur sensible d’artichaut midinette…Autant vous prévenir dès l’intro, voilà une saga où peu de gens trouvent le bonheur, ou ne serait-ce qu’un instant de répit, quand ils ne sont pas violemment tués, violés, torturés et j’en passe et des meilleures. En fait dites vous bien que le taux de mortalité de cette série est sans aucun doute supérieur à celui de Games of Thrones…Oui, ça situe bien le niveau.
A la base comme on s’en rend compte à la lecture du synopsis, on part d’une certaine réinterprétation de certains évènements historiques. De fait, Paul Kearney mélange et renomme une certain nombre de faits historiques qu’il remanie à la sauce fantasy. La chute d’Aekir peut être vue comme la chute de Byzance au 15e siècle et les invasions menées par l’empire Ottoman en Europe au 15e siècle. A cela, l’auteur ajoute la découverte du nouveau monde, le schisme d’église catholique et enfin l’inquisition qui cette fois va aller frapper la race dite des Dweomers, êtres qui peuvent manipuler les forces magiques de ce monde. Des forces particulières, assez limitées dans le fond, bien qu’elles aient leur utilité par moment.
De fait la chute d’Aekir qui ouvre de manière puissante le premier volume, va servir de déclencheur à toute une série d’évènements qui va plonger le continent entier dans une guerre civile politique et religieuse sanglante et ce au moment où tous les royaumes doivent faire face à la gigantesque invasion Medruk. Mais au départ, on pense que l’auteur va juste s’attarder sur le voyage d’Hawkwood, marin et capitaine de vaisseau pour aller découvrir un mythique continent occidental pour créer une colonie composée à la base de réfugiés Dweomers qui ont survécu aux purges de l’église. Sauf qu’en cours de route l’auteur a changé son fusil d’épaule.
De fait pour faciliter la présentation de l’œuvre, je vais adopter une approche géographique, bien que vous vous doutez bien que les différentes intrigues finissent par entrer en collision à un moment donné…
A l’ouest : rien de nouveau ou presque
Ainsi le début de la saga est marquée par ce voyage vers l’ouest qui va très vite tourner au massacre alors que certaines forces vont entrer en œuvre pour mettre un terme à cette petite aventure. A ce titre, on sent bien que l’auteur voulait traiter cette histoire d’aventure marine au vu des recherches évidentes qu’il a fait sur la vie marine, les termes propres à la vie nautique et la vie en mer…Un truc qui personnellement ne m’a guère passionné…puisque il y a des passages où il vaut mieux avoir son dico à côté de soi…
Mais ça c’est au début, avant que l’histoire n’échappe à l’auteur. En réalité, à l’origine, Kearney voulait écrire une saga maritime, ce qu’il a commencé à faire sur une autre série de livres, et on le comprend bien à l’importance accordé au personnage d’Hawkwwod et au monde maritime de manière générale. Rien que le cadre s’y prête puisque une grande partie des premiers livres prend place à l’extrême ouest du continent dans le royaume d’Abrusio, dominé par son port, le plus important au monde.
En conséquence, une grande partie du premier volume est consacré à installer le personnage d’Hawkwood, sa personnalité, ses proches, ses objectifs, sa relation plus que tumultueuse avec sa maîtresse Jemilla, ou encore sa femme…
Outre Hawkwood, l’auteur passe un temps considérable au début à construire la personnalité du roi Abeleyn qui est appelé par la suite à jouer un rôle important, alors que son royaume sombre assez vite dans la guerre civile, qu’il doit faire face aux intrigues de Jemilla, tout en organisant la fuite des Dweomers vers le continent occidental.
De volume en volume, Kearney essaye de montrer l’évolution de ce personnage, de jeune gouvernant ambitieux et compétent, à celui de véritable roi, à la hauteur de la tâche. Ce qui contribue à la confusion du lecteur quand au fond les évènements de l’ouest disparaissent peu à peu de l’intrigue. De fait après avoir tenu une place importante dans les deux premiers volumes, les personnages et évènements se situant à l’ouest se voient presque reléguer au second plan dans les volumes suivants.
A l’est d’Eden ou l’enfer de Corfe & Héria
En fait ce qui fait basculer le récit, ce qui crée un déséquilibre qui emportera l’histoire dans une direction complètement imprévue par l’auteur est le développement de la situation à l’est et l’ascension du personnage de Corfe. Simple porte étendard de la garde d’Aekir, il parvient à fuir alors que la ville brule et que sa femme, apparemment, disparaît. Le fuyard jouera un rôle clé dans la plupart des intrigues postérieures, puisque tout d’abord sur sa route il croise…Macrobius, pontife que tout le monde croit mort. Cette résurgence entraînera le schisme de l’église puisqu’entre temps un autre pontife a été élu… et qu’il compte bien garder son petit trône et en fait s’accaparer tout le continent pour lui même.
Hanté par sa fuite, anéanti par la mort supposée de sa épouse, Corfe qui a tout perdu va se révéler comme un chef militaire capable et impitoyable. Alors que le tiers de l’armée du royaume a été annihilé à Aekir et qu’il s’agissait là des troupes les plus expérimentées mené par le meilleur commandant de l’armée, que ce qui reste n’a jamais connu le front et ne dispose que de flatteurs ou d’incompétents comme chefs, Corfe va vite connaître une ascension sans interruption au fil de ses victoires.
D’abord peu considéré, il se fait confier une force sans équipements, composée d’anciens esclaves, galériens issus de tribus sauvages, qu’il va transformer en force armée libre impossible à stopper. Mais au fond sur les premiers tomes, ce qui touche le lecteur est que Corfe est insensible aux promotions, aux honneurs, aux victoires, il veut juste se racheter puis mourir…rejoindre sa femme et en finir.
Sauf que sa femme a survécu à la chute d’Aekir…bien qu’elle aurait sans doute préférer y mourir. Enlevée par les troupes medruk, violée à plusieurs reprises, elle finira comme concubine favorite…du sultan médruk à la tête des forces ennemis ! Chaque ancien conjoint ignore la survie et le sort de l’autre pendant une grand partie de la saga et se contente de survivre comme il peut. Le sort d’Héria est sans doute l’un des plus éprouvant à lire tout au long des romans. Elle survit et fait preuve d’une force pour résister aux épreuves qui ferait pâlir bien des hommes…et finira par jouer un rôle clé dans la résolution de la guerre à l’ouest..
Mais bien entendu, ce qui a agité le cœur d’artichaut que je suis est bien entendu : est-ce que Corfe et Héria se retrouvent à un moment donné ??? et bien il faudra lire la saga pour le savoir. Mais dites vous bien que ce qui fait tout le charme de ces livres est le côté torturé des personnages. Corfe domine le récit à un tel point que son histoire est la raison pour laquelle l’auteur a peu à peu relégué toute la partie de son intrigue à l’ouest au second plan. Arrivé au sommet, Corfe va mener ses troupes de victoire en victoire face à un ennemi disposant d’une supériorité numérique écrasante.
En cela, il a été comparé ici ou là dans des reviews que j’ai lu à des personnages historiques comme Alexandre ou Napoléon. Mais personnellement, j’y vois plutôt un Pyrrhus moderne. Car comme l’auguste roi de l’antiquité, si Corfe remporte bataille sur bataille, c’est au prix de pertes humaines considérables.
A ce titre il faut souligner d’une part la grande qualité d’écriture de Kearney dans la description des combats et de la stratégie et des engagements des différentes forces. Ces batailles sont réellement épiques et sont les moments forts de ses romans. Et d’autre part, malgré cela, il parvient à ne pas glorifier la guerre. Au contraire, il en montre plus les conséquences, le caractère sanglant, le massacre ignoble que cela représente. Surtout en ces temps où les armes à feu commencent à se développer à grande échelle.
En termes de conséquences, on ne peut passer sous silence le sort des femmes dans cette saga sanglante. A l’image du destin d’Héria, les femmes sont les premières victimes des évènements. Si les hommes sont prestement massacrés, les femmes n’ont guère un meilleur destin. Le viol de masse est ainsi décrit sans fioriture, l’auteur montre bien comment la guerre libère des instincts inhumains chez les soldats quelque soit le camps. Ainsi on pensera au volume 4 et la chute d’une ville aux mains des troupes médruk qui se livreront au pires exactions. Mais la réaction des troupes de Corfe ne sera guère plus humaine. Enragées par les mauvais traitements infligés par les médruk, les hommes de Corfe se livreront à un massacre sans nom de presque 10 000 soldats ennemis.
Mais malgré cela, je dirais que le moment le plus fort, le plus touchant et le plus déchirant se trouve sans aucun doute à la fin du 4e tome et notamment ces deux dernières pages. Difficile de ne pas les lire sans avoir le cœur brisé…et l’auteur nous montre bien ici, qu’il n’est simplement bon dans les scènes de bataille. Il a su tisser une tragédie particulièrement cruelle, mais profondément humaine.
La conclusion : ratée ou pas ratée ???
Alors si je vous ai bien appâté jusque là, il faut répondre à une question sur la qualité de la conclusion dans le tome 5. Souvent qualifiée de précipitée, elle se révèle il est vrai trop rapide par rapport à tout le travail de construction dans les 4 premiers tomes. La menace de l’ouest bâtie tout au long de la série, atteint ici son apogée alors que les différents royaumes tombent les uns après les autres face aux forces du second empire qui s’appuie sur une partie de l’église. En fait ils tombent tellement vite que le sort de certains personnages est réglé sans fioriture et prestement …voire carrément hors champs !!! ainsi le destin d’un des personnages les plus importants dans les premiers tomes est bazardé sans grande finesse. “Et comment va machin au fait, ah ben il est mort. Merci au revoir…”
En fait ce 5e tome est un peu à l’image du reste de la saga, à savoir que l’histoire de Corfe prend le dessus sur tout. Car très vite, son armée se retrouve la seule encore debout face au second empire…et pour régler la question, il va se la jouer Hannibal et décide d’aller frapper au cœur de l’empire en passant par une chaîne de montagnes, la plus haute du monde connu…Pour pouvoir développer cette intrigue correctement dans les délais contraints imposés par son éditeur, l’auteur a bazardé le reste rapidement pour pouvoir se concentrer le plus possible sur Corfe .
Donc en fait, le résultat est mitigé sur ce dernier tome. D’un côté toutes les intrigues sont résolues et amenées à leur conclusion. Le destin de la plupart des personnages est connu. De l’autre on aurait aimé avoir une centaine de pages supplémentaires pour développer un peu plus certains personnages et surtout avoir des informations sur le “après”. Kearney lance certes des pistes et on peut deviner le futur, mais on aurait apprécié que cela soit correctement exposé. Mais en même temps, il est difficile de lui reprocher d’aller vite, car c’est là l’un des éléments les plus appréciables de son style.
En effet les auteurs ces dernières années, ont pris la désagréable habitude de rallonger leurs livres plus que nécessaires. Il s’agit de faire long même quand on n’a pas la matière pour. Fini les livres de 350/400 pages des années 60/70, écrit de manière lisible, sans description de 50 pages sur un bouton de portes …Kearney se distingue sur cette saga, par son style très condensé, sans développement inutile ou description sans fin. Il s’en tient au strict nécessaire pour pouvoir se concentrer sur l’essentiel. De fait à part le premier tome qui dépasse les 600 pages, le reste de la saga est comprise dans des tomes de 400 pages en moyenne.
Verdict : 9/10 – une XXX de bonne saga !!! sombre, torturée, remplie de bruits et de fureur.
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