Comixitoyennes et Comixitoyens, soyez les bienvenus pour l’inauguration d’un nouveau quartier de Comixity où j’aurai le plaisir de vous retrouver toutes les deux semaines pour vous parler de comics ! Focus sur un personnage ou une série, rétrospective analyse, coups de gueule… sont parmi tant d’autres sujets à l’ordre du jour et donnerons lieu je l’espère à des débats sur la place publique des commentaires !
Pour ce premier voyage dans le monde merveilleux des comics nous naviguerons entre les univers, nous traverserons l’univers DC depuis ses origines jusqu’à nos jours pour voir comment il a pu influencer la création de la ligne Ultimate. Ultimate ? Mais c’est chez Marvel ça ! Et pourtant, c’est bien chez la Distinguée Concurrence que cette ligne trouve un peu ses racines…
L’éternel recommencement
Les comics, et même plus généralement la bande dessinée, se réinventent sans cesse dans la forme comme le fond. Comme ses voisins de numérotation le 9e art est une forme artistique en constante évolution, les canons de beauté évoluent en continu, le storytelling change complètement d’une décennie à l’autre. Le fond est tout autant impacté par les thèmes dans l’ère du temps, mais les comics ont une particularité qui leur est propre : la réécriture permanente de la vie fictive de ses protagonistes et des événements de leur histoire, ce qu’on appelle communément la continuité. À tort ou à raisons, les origines des héros ont droit plus ou moins régulièrement à des mises à jour, à des épisodes inédits s’intercalant dans un passé déjà très chargé et à des réinterprétations sous un autre angle de leurs grandes sagas. Ce qui fait le charme de la continuité devient aussi son handicap, surtout quand les nouvelles sagas comme les réécritures se révèlent être d’une qualité plus que discutable. Ce constat est fait par beaucoup dans les années 90, décennie à la fin de laquelle les comics sont en crise pour de nombreuses raisons.
Après avoir échappé de près à la banqueroute, Marvel identifie un des problèmes majeurs de leur production : comment attirer de nouveaux lecteurs vers leurs grands héros handicapés par 40 ans de continuité (ou 60 si on veut inclure les quelques rescapés de l’Age d’Or comme Captain America) particulièrement maltraitée par les réécritures et ajouts des dix dernières années ? On efface tout et on recommence ? L’expérience est partiellement tentée pour les Avengers et les Fantastic Four en 1996 avec Heroes Reborn et plus douloureusement pour Spider-Man en 1998 avec Chapter One (si tout ça est obscur pour vous pas de panique, on y reviendra plus tard !), mais passé l’élément de nouveauté le constat est que les anciens lecteurs, ceux qui sont déjà bien installés et qui constituent le gros du commerce grincent des dents, au point de les casser sans possibilité de réparation. Malgré l’échec d’Heroes Reborn et de Chapter One l’idée continue de germer et abouti à un compromis intéressant : réimaginer l’univers Marvel comme s’il commençait aujourd’hui, mais dans un univers parallèle, en laissant l’univers régulier continuer de vivre sa vie dans son coin. L’univers Ultimate était né, avec les succès et les déboires qu’on lui connaît. Mais où est DC dans tout ça ? Pour comprendre ses liens avec la ligne Ultimate, il va falloir revenir encore plus loin dans le temps, aux origines même des comic-books de super-héros…
Quand les Terres multiples étaient encore loin de la crise
C’est un fait admis par plus ou moins tout le monde, les comic-books de super-héros prennent leur envol en 1938 avec la première aventure de Superman dans Action Comics #1, propulsé par un éditeur qui allait devenir DC comics : l’Age d’Or (ou Golden Age) avait débuté. Néanmoins le genre commence à péricliter dès la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à son essoufflement au début des années 50. Passés de mode et accusés de tous les maux de la jeunesse par certains pédopsychiatres à la recherche d’épouvantails, les justiciers bariolés disparaissent presque si ce n’est quelques rares survivants comme les emblématiques Superman, Batman et Wonder Woman. Après avoir lancé le genre, DC le maintient donc sous perfusion pour finalement réussir à le faire renaître en 1956 avec Showcase #4 où le Flash, héros populaire de la firme durant l’Age d’Or, revient. Mais le Flash a changé. Les pouvoirs restent peu ou prou les mêmes mais le costume est différents, l’origine a été modernisée et, surtout, ce n’est plus Jay Garrick mais un certain Barry Allen sous le masque. La sauce prend et d’autres héros de l’Age d’Or comme Green Lantern ou Atom sont (re)créés sur le même modèle. L’Age d’Argent (ou Silver Age) pouvait commencer. Sont-ils des successeurs, rejoignant les héros qui eux n’ont jamais arrêté ? Ou bien tout a été effacé pour mieux recommencer en ne gardant que certains éléments ? Si aucune de ces explications ne sont vraiment avancées au départ, la réponse se situe un peu entre les deux. C’est encore vers Flash qu’il faut se tourner, le sprinter écarlate éclaircissant l’affaire dans le désormais mythique Flash of Two Worlds! (Flash #123, 1961) : les deux Flash vivent chacun dans un monde parallèle à l’autre, mais une filiation existe puisque Barry a lu les aventures de Jay en comic-books étant enfant (le coup de l’artiste qui inconsciemment reçoit des informations d’un univers alternatif est depuis devenu un classique). Il en va de même pour les autres héros réinventés de la sorte, tandis que Superman et les quelques rares survivants de l’Age d’Or toujours en activité existent à la quasi-identique sur les deux mondes. Les Terres multiples étaient nées… dans un processus qui n’est pas sans rappeler l’univers Ultimate si on y regarde bien : on modernise les principaux héros, changeant plus ou moins leurs costumes, pouvoirs, origines, voir identités… tandis que les originaux vivent leur vie dans leur coin.
Bien que plus jeune le nouvel univers est appelé Terre-1 tandis que l’ancien est Terre-2. Ce choix est tout de même assez logique et vient de la principal différence entre cette situation et celle de l’univers Marvel « normal » par rapport à l’Ultimate : il n’y a que des séries se déroulant sur la Terre-1, la Terre-2 n’apparaissant que lors de collaborations exceptionnelles entre les héros des deux mondes. Il faut attendre la relance du titre de l’Age d’Or All-Star Comics en 1976 pour que les héros de cette époque soient de nouveau présents tous les mois, mais cela reste une série parmi tant d’autres qui intéresse surtout les curieux, à aucun moment DC n’ayant l’ambition de développer toute une ligne de comics basée sur Terre-2.
Des parallèles assez évidents peuvent donc être faits entre le retour en force de l’univers DC à la fin des années 50 et le lancement de l’univers Ultimate en 2000 : une volonté de sortir d’une crise touchant le medium et d’attirer un nouveau lectorat en changeant parfois très profondément les personnages et en les plaçant sur un univers tout neuf, où tout est à (re)faire.
Crise de la quarantaine
Et ce nouvel univers DC va bien grandir, ses héros comme ses Terres se multipliant très abondamment, si ce n’est même trop. Car Terre-2 va gagner un paquet de voisines, aussi bien des mondes accueillant d’autres licences de l’Age d’Or rachetées par DC que des créations originales. Après plus de 30 ans d’histoire (voir 45 si on compte aussi les aventures sur Terre-2) les anciens lecteurs commencent à s’y perdre, les nouveaux ont peur de se lancer au risque de ne rien comprendre. Enfin, c’est ce qu’on pense en amont au milieu des années 80, où l’on accuse le Multivers de tous les maux qui rendraient les comics DC moins attractifs. Nécessaire ou pas, un grand coup de balai cosmique est décidé et s’abat sur l’univers DC en 1986 : Crisis on Infinite Earth, la fameuse Crise des Terres Infinies (ou Multiples suivant les traductions). Et cette fois, on ne fait pas dans la demi-mesure : plus de Terres multiples mais un seul monde qui reprend Terre-1 en y greffant tout un tas d’éléments issus d’une partie des autres, Terre-2 en tête. La simplification tant voulue de la continuité n’est toutefois pas limpide : pour beaucoup de séries les changements ne pas si drastiques, la numérotation est gardée et certaines équipes artistiques restent même en place pour continuer leurs intrigues, histoire de ne pas tuer des poules aux œufs d’or comme les New Teen Titans qui auraient mal survécu à un redémarrage à zéro complet vu qu’il s’agissait ici de sidekicks ayant grandis. Par le côté bâtard du nouvel univers, reprenant en partie l’ancien mais en imposant de nouvelles logiques comme celle de Superman seul survivant de Krypton, DC joue un jeu dangereux où ils risquent de provoquer la colère des anciens fans et l’incompréhension des nouveaux (et même des anciens en fait) avec des histoires où se mêlent personnages réinventés et d’autres toujours les mêmes.
Si l’univers ne repart pas vraiment de zéro, quel est le lien avec l’univers Ultimate ? Il réside encore une fois dans le contexte de création, celui d’un medium en crise et d’un univers qu’il faut rendre accessible et attrayant au nouveau lecteur. Comme on l’ai dit pour l’accessibilité, on repassera dans certains cas. Et de toute façon, tout vrai lecteur de comics sait que la meilleure façon de commencer c’est de se lancer, quitte à raccrocher les wagons qu’après un bout de chemin. C’est plutôt le côté attrayant qui nous intéresse ici. Prenons l’exemple de Superman. L’univers du héros est restructuré suivant l’idée qu’il est bien le dernier Krytponien de l’univers sans cousine sauvée in extremis, de prisonniers de la Phantom Zone et autres villes mises en bouteille. Les origines sont refaçonnées, exit Superboy et la Légion des Super-Héros, les alliés et les ennemis sont repensés de façon très profonde, en témoigne Lex Luthor qui quitte ses collants colorés de savant fou pour celui en trois pièces d’un homme d’affaire farouche. L’univers de l’Homme d’Acier est épuré de toutes les fantaisies des décennies précédentes, la naïveté et l’insouciance laissent place à un ton résolument plus sombre et sérieux pour coller davantage à l’air du temps (et la vie des super-héros était moins colorée que leurs costumes durant les années 80). Sa continuité redevient plus ou moins vierge, on conserve les très grandes lignes du personnage connu du large public, mais les scénaristes ont tout le loisir de choisir de le faire affronter des versions remaniées des vilains d’antan comme d’en inventer d’autres, de lui faire revivre ou non les événements marquant de son histoire considérée comme classique jusque-là… Des cheminements tout-à-fait similaires à ceux utilisés pour les personnages de l’univers Ultimate, où il faut à la fois moderniser les héros sans pour autant les rendre trop différents des versions que tout le monde connaît et aiment. Ultimate Spider-Man en est un cas très parlant : la base du personnage est gardée, on retrouve les mêmes alliés et ennemis et même quelques concepts qui ont fait le succès de la version classique (Guerre des Clones, la Tablette de la Vie, les morts de Gwen Stacy ou Jean DeWolff…) mais tout est revisité sous un regard neuf, prenant des tournants inédits même pour les lecteurs les plus chevronnés mais sans toutefois trop trahir l’esprit du personnage.
La question ultime
Tout ceci nous amène à nous poser une question : si DC ose redémarrer sa continuité, pourquoi Marvel ne l’a pas fait non plus lorsqu’ils l’ont jugé nécessaire ? Parce que finalement, malgré tous les couacs que cela peut engendrer comme avec Crisis, DC comics est toujours là, se partageant le haut du top des ventes avec Marvel bon gré mal gré. Personnellement, je pense que c’est en grande partie due à une question de conception d’univers : chez DC on modifie depuis toujours sa continuité en ajoutant et éliminant des éléments tandis que chez Marvel on garde tout depuis le début. L’univers DC s’est formé sur l’accumulation de héros venus d’autres éditeurs qu’il faut intégrer : les années 40 où DC naît de la fusion de trois éditeurs différents qui allient leurs personnages au sein de la Justice Society of America, et pour les années 50 à 70 où tout une foule de licences (la famille de Captain Marvel, les héros Fawcett…) sont acquises et peuplent les Terres multiples avant de rejoindre la Terre principale suite à Crisis.
Ensuite, le retour des héros à l’Age d’Argent chez DC s’est fait par la remise en avant d’anciennes licences réinventées via l’excuse du Multivers, tandis que chez Marvel ce sont de toutes nouvelles créations (avec tout de même quelques redites comme une nouvelle Torche Humaine) auxquelles s’ajoutent par la suite quelques rares retour de l’Age d’Or comme Captain America ou Namor ; il n’est donc ici aucunement question de chambouler toute la création pour instaurer une nouvelle continuité.
Enfin, il faut considérer également un un troisième élément qui avait déjà son importance en 1986 : le mécontentement des lecteurs. Les répercussions de Crisis on Inifite Earth furent loin de plaire à tout le monde, dont aux lecteurs devenus les créatifs d’aujourdhui : quasiment tous les éléments disparus à l’époque sont de retour suite aux nouvelles Crises subies chez DC depuis le début du troisième millénaire : Infinite Crisis, Final Crisis et surtout Flashpoint plus récemment… qui a servi a redémarrer encore une fois l’univers ! Je ne vais pas m’étendre sur le nouvel univers DC connu sous l’appellation des New 52, il sort assez d’articles dessus chaque mois depuis son lancement en septembre 2011. Toutefois, il faut signaler qu’ici la logique a été poussée plus loin que Crisis TOUS les titres (dont les historiques Action Comics et Detective Comics !) ont été redémarrés au #1 et qu’une remise à zéro plus poussée du catalogue a été exécutée, même si encore une fois il y a eu quelques exceptions comme les très lucratifs Batman ou (à ce moment-là) Green Lantern qui ont été peu impactés. Les réactions négatives des lecteurs chez Marvel semblent les décourager davantage puisque la Maison des Idées fait machine arrière après avoir tenté ses remises à zéros de franchises historiques avec les expériences peu concluantes que furent Heroes Reborn et Chapter One… qui seront le sujet du prochain article !
La plupart des lecteurs s’étonneront peut-être que rien n’a été dit sur les lignes All-Star et Earth One, présentées toutes les deux en leur temps comme les réponses de DC à l’univers Ultimate ; leur cas devait être initialement abordé dans un paragraphe, mais il m’est très vite apparu que le sujet mériterait un article rien qu’à lui aussi bien pour des questions de longueur que de pistes de réflexions à explorer. Promis, c’est pour bientôt !
C’est ici que s’achève la visite des nouveaux quartiers. Si le voyage vous a plu je serai heureux de vous retrouver à nouveau dans deux semaines, même jour, même adresse… si l’univers n’est pas effacé d’ici là !
Paragraphe post-article ultime : En 2003, alors que l’univers Ultimate est au summum de sa notoriété, le magasine américain Wizzard a demandé à des artistes d’imaginer ce que serait un univers Ultimate DC. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que finalement pas mal de ces personnages ont actuellement ou eu récemment des looks parfois assez similaires ! Pour retrouver les images tout comme les textes de présentations (en anglais), c’est ici : http://www.606studios.com/bendisboard/showthread.php?116977-Wizard-s-Ultimate-DC
Même en connaissant ces parallèles, c’est toujours plaisant de les voir expliquer ainsi. 🙂
J’attends le détail sur Earth-One et All-Star, car je connais déjà beaucoup moins.
Le parralèle est assez spécial , non ? les deux premières saisons d ‘ Ultimates ce voulais plus proche des gens en gardant l ‘ aspect canonique des personnages , ce permettant d ‘ etre bien plus rentre dedans ( Hulk qui devaste New York ) ou Hulk Vs les Skree , alors que les réincarnations chez DC sont courante , mais le new 52 n ‘ est pas aussi extrêmes que les débuts d ‘ Ultimates
Ce que j’ai essayé de mettre en lumière, c’est que chez DC ça fait très longtemps qu’on ose redémarrer l’univers en gardant ce qui nous plait et en modernisant, alors que chez Marvel cela n’a été fait que dans des univers parallèles comme Ultimate et Heroes Reborn (que j’aborderai dans deux semaines). Mais je reconnais que mon analyse n’est peut-être pas assez poussée par moment, c’est à la fois pour une question de longueur et de mes premiers pas dans ce type d’articles, je vais essayé d’aborder des sujets moins tordus prochainement. 😉
Qu’entends-tu par “extrême” ? Si c’est par rapport à la caractérisation des personnages je suis d’accord, The Ultimates est même différent de ce point de vue-là d’Ultimate Spider-Man et Ultimate X-Men : dans les trois cas on a une version plus moderne qui collerait bien à une série télé ou un film, mais pour The Ultimates Mark Millar a en plus inspiré à son histoire un ton cynique, voir polémique par moment, ce qui rend cette réécritures des Avengers bien plus intéressante qu’une simple modernisation des origines. Après si tu prends les New 52 y a quand même eu des timides tentatives allant dans ce sens comme le jeune Superman de Morrison qui se veut plus rentre-dedans et proche des problèmes sociaux ou la Wonder Woman d’Azzarello qui part dans une direction peut-être pas tout-à-fait inédite de ce qu’on a pu avoir dans le passé (je pense au run de Rucka) mais qui va plus loin dans une réinterprétation plus moderne du thème “Amazones et dieux antiques parmi nous”.
Skree : les enfants des Skrulls et des Krees ? 😉
Sur les premières saisons si ultimates et les autres séries de la gamme appartiennent au même univers ils n’ont pour moi pas grand chose en commun.
Effectivement Marvel utilise un univers parallèle pour aborder différemment ses personnages la ou DC le fait sur son univers principal. Par contre il n’y a pour moi pas de comparaison possible entre La série ultimates et ce qui a pu se faire chez DC seules les autres séries de la gamme peuvent peut être se rapprocher de certaines productions de la concurrence.
Malgré tout est ce que Bendis ne serait pas aller voir du côté de flash of two worlds pour son spider-men?
Flashes of Two Worlds! reste la première histoire de ce type et a une aura telle qu’on en revient presque toujours à elle lorsque l’on parle de tels rencontres… mais en fait il y a un précédent : Wonder woman #59 (1953), première histoire de DC présentant une Terre parallèle où Wonder Woman rencontre son double, Tara Terruna : http://earth-one-earth-two.blogspot.fr/2012/07/tara-terruna-wonder-woman-of-earth-59.html
Certes , mais Millar ma fait decouvrir les Avengers et que je sache , la saison 1 est très violente , à la limite la série qui se rapproche de la vision Millar esque est le Superman de Morrison , qui ne retient pas vraiment ses coups et ces avis sur le journalisme et la corruption